Sortir de l’interminable crise agricole…
J’aurais préféré avoir tort. En septembre, dans ce blog, j’avais affirmé qu’il était à craindre « que les aides limitées qui viennent d’être débloquées pour les éleveurs ne règlent pas la crise agricole. » Malheureusement, le dernier cri de colère des éleveurs me donne raison : notre agriculture s’enfonce dans la crise et les exploitants perdent espoir.
Pourquoi cet échec du dernier plan gouvernemental ? Parce qu’on ne règle pas une crise structurelle avec une batterie de mesures conjoncturelles. Faut-il rejeter la faute sur le seul gouvernement actuel ? Non, car les difficultés de notre agriculture ne datent pas d’hier. La droite doit balayer devant sa porte. L’Allemagne, dont le sol n’est pas béni des dieux comme le nôtre, est passée devant la France en matière de production agricole et d’exportations agroalimentaires en… 2007. Alors, de grâce, ne nous ruons pas dans les polémiques politiciennes, tâchons d’avancer avec pragmatisme.
De quoi souffre notre agriculture ? Depuis des mois, je sillonne la France, notamment les zones rurales. De Vieux-Reng dans le Nord, à Diennes-Aubigny dans la Nièvre en passant par Celon dans l’Indre, nos agriculteurs m’ont tous dit la même chose : « on ne s’en sort pas ! Trop de normes, trop de contrôles, trop de charges… à la fin du mois il ne nous reste rien pour vivre… » A peu de chose près, c’est la même chose que nous disent les chefs d’entreprise quels qu’ils soient… Alors que faire ? Je propose d’agir sur trois axes de long terme que j’ai développés dans mon livre le Sursaut français :
1. D’abord, des mesures d’urgence qui permettraient aux éleveurs notamment de sortir la tête de l’eau. La France doit convaincre la Commission d’agir pour faire remonter les cours (achats de lait par exemple). Elle doit aussi se battre pour lever l’embargo russe qui pénalise nos agriculteurs à l’export sans faire avancer les dossiers internationaux : Crimée ou Syrie…
2. Ensuite la question de la compétitivité. Celle-ci se décline en trois volets.
– Les normes. Ce sujet empoisonne le quotidien des agriculteurs qui sont obligés de se plier à une coûteuse course à la mise aux normes de leurs exploitations, « fliqués » par des inspecteurs tatillons qui sont souvent là plus pour les piéger que les soutenir, le tout sans reconnaissance du grand public qui en vient à pointer du doigt nos paysans comme des pollueurs… Il est de bon ton d’accuser Bruxelles de cette hyper-bureaucratisation. Cela est vrai, car Bruxelles a parfois la main lourde dans ses directives, mais cela est faux parce que la France met un zèle particulier à les transposer, en allant souvent plus loin que les autres Etats membres. Pour ma part, je propose d’aligner nos normes et contraintes sur celles des Allemands qui ne sont pas d’affreux pollueurs.
– Le coût du travail. Le constat est ancien : nos charges sont trop élevées par rapport à nos voisins européens. Je propose de les alléger immédiatement de 34 milliards € qui seraient financées par une augmentation à due proportion de la TVA. Cette idée de TVA anti-délocalisation est dans les cartons depuis 2007. Nous ne l’avions mise en place qu’à la fin 2011, ce qui était trop tardif, avant que François Hollande ne la supprime. Aujourd’hui n’en débattons plus, appliquons là.
– La taille des exploitations. Nous avons privilégié en France, par héritage et par tempérament, des fermes à taille humaine. Ce n’est pas une honte ! Ces exploitations peuvent s’en sortir brillamment dans des marchés de niche, en travaillant sur les circuits courts, le haut de gamme. Mais ces marchés sont limités. Ils ne peuvent permettre au plus grand nombre de survivre, encore moins de rivaliser sur le moyen de gamme face aux fermes géantes d’Allemagne, d’Espagne ou des Pays-Bas. Pour gagner des parts de marché sur ce segment, il faut atteindre des tailles critiques qui engendrent des économies d’échelle. A cet égard, je ne vois pas pourquoi l’administration française freine l’expérimentation de la ferme des « 1000 vaches ». En Allemagne, sans que cela ne pose de problème, 200 fermes comptent plus de 1000 têtes… Là encore, inspirons-nous en ! Ce modèle industriel peut prospérer de manière complémentaire à côté d’exploitations plus petites.
3. Enfin, la question des marges. Aujourd’hui, la plupart des éleveurs vendent à perte car à chaque étape du processus, qui va de la production à la commercialisation des produits, des intermédiaires rognent les marges. Sur le prix de vente global d’un porc, l’éleveur va ainsi récupérer 32% contre 39% à la distribution ou 8% à l’abattage, alors qu’il a des coûts fixes plus élevés. Ce n’est pas tenable. Un producteur isolé ne peut pas faire le poids dans une négociation. Il faut donc structurer la filière des éleveurs afin de donner corps à la « contractualisation » entre producteurs et distributeurs dont on parle depuis des années sans succès jusqu’à présent. Pourquoi les éleveurs ne s’inspireraient-ils pas de la réussite des producteurs d’oléoprotéagineux qui, en se fédérant, ont pu sécuriser les prix, créer des centres d’innovation et déboucher sur un leader mondial de l’agro-business comme Sofiprotéol ?
J’ajoute un dernier point qui est déterminant. Nous nous focalisons à juste titre sur la crise agricole, car, dans notre pays de France chacun a un grand-père, un cousin, un ami qui a travaillé ou travaille la terre. Notre lien à l’agriculture est très charnel, passionnel, émotionnel. Mais au-delà d’une profession, toute la ruralité souffre en silence. La crise n’est pas qu’agricole, elle est rurale. Permettez-moi quelques chiffres pour illustrer mon propos : dans l’Aisne, les Ardennes, l’Aude, la Creuse, l’Hérault, le Vaucluse, le taux de pauvreté est supérieur à 18% contre 14% en moyenne ; il y a 1 médecin pour 473 habitants dans l’Indre contre 1 pour 300 en moyenne ; sur les dix dernières années quand la Seine Saint Denis gagnait 65 supérettes, le Jura en perdait 7 et l’Yonne 4. Bref, la ruralité se vide de ses forces vives, elle se sent méprisée, oubliée, abandonnée.
Cette situation de fait créé une terrible fracture entre métropoles connectées à la mondialisation et territoires laissés pour compte. C’est pourquoi je propose la création d’une Agence Nationale pour le Renouveau de la Ruralité (AN2R) pour la France périphérique sur le modèle de l’ANRU qui, pour les quartiers sensibles, est un succès de politique publique. L’ANRU a permis de changer la face de quartiers sensibles sinistrés. Les cités de Meaux en sont la preuve vivante. Je propose d’étendre cette recette qui fonctionne aux zones rurales et périurbaines dans lesquelles, on rencontre désormais autant, voire plus, de pauvreté et de difficultés que dans les banlieues. Cette AN2R financerait trois grandes priorités. D’abord, la couverture numérique, alors que l’absence de réseau devient un handicap rédhibitoire pour certaines zones reculées. Ensuite, les transports pour désenclaver les territoires. Enfin, l’accès aux services à la personne, depuis la garde d’enfant jusqu’à l’accompagnement des personnes âgées à domicile en passant par tout ce qui a trait à la santé. En zone rurale, il faut parfois faire des kilomètres en voiture pour trouver un service auquel on accède en dix minutes à pied en ville. Si l’ensemble de notre territoire peut avoir résolu dans les dix ans qui viennent les problèmes de transport et de couverture numérique, tout alors sera possible !
La ruralité est une large partie de l’ADN de la France. Se résoudre à son déclin serait trahir notre histoire et obérer notre avenir. Il faut agir vite pour la sauver et en faire un élément moteur du Sursaut français ! Qu’en pensez-vous ?