Prologue

Je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai vécu lors de ce Bureau politique de l’UMP le 27 mai 2014. Je ne le souhaite pas à mes amis, à ceux que j’aime et qui ont été tout au long de cette épreuve d’une fidélité et d’une solidité remarquables. Je ne le souhaite pas, non plus, à ceux qui, ce jour-là, m’ont poignardé. Oui, ce jour-là, j’ai touché la haine du doigt. J’ai vu, dans le regard de quelques-uns des plus éminents membres de ma famille politique, de la haine.

Évidemment, je le dis d’emblée, cette épreuve n’a rien à voir avec ce qui constitue les pires drames de la vie, une maladie grave ou la perte d’un être que l’on aime par-dessus tout. Ce dont je vous parle est d’une nature très différente mais je voudrais en partager avec vous l’analyse. Parce que, tout bien réfléchi, je pense que cela peut arriver à n’importe qui...

Je n’oublierai jamais cette réunion du Bureau politique. Nous sommes un mardi. Il est 8 h 30. Je suis seul à la tribune. Tout ce que la droite française connaît de ténors est là. Anciens Premiers ministres, anciens et futurs ministres, grands élus, jeunes espoirs et vieux souvenirs : ils sont tous là !

À l’origine de la « tragi-comédie » qui va se dérouler sous les yeux du grand public grâce à Twitter, une affaire, comme la Ve République en a malheureusement régulièrement connu : l’affaire « Bygmalion ». C’est le nom d’une entreprise de communication et d’événementiel qui a organisé avec ses prestataires (monteurs, éclairagistes, fournisseurs de matériels des plus simples aux plus sophistiqués) les meetings géants de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012.

Le journal Libération vient de révéler douze jours auparavant que le coût final aurait été tellement supérieur au plafond autorisé que la décision avait été prise de faire prendre en charge le dépassement non par le compte de campagne du candidat... mais par l’UMP !
Or cette décision, folle, absurde, irresponsable, m’avait été totalement dissimulée.
Le choix avait été fait, délibérément, par ceux qui en étaient informés de ne rien m’en dire. Ils s’en sont, pour certains, expliqué : ils savaient que s’ils m’en avaient parlé avant, je m’y serais totalement opposé et que si j’en avais été informé alors que la décision avait été prise, j’y aurais évidemment fait obstacle.

Bien sûr, que je n’ai rien su peut étonner. Mais il faut que chacun comprenne ce qu’est la fonction de président d’un parti politique ; fonction qui, soit dit en passant et parce qu’on ne le sait pas toujours, n’est pas salariée et ne donne donc droit à aucune rémunération.
Comme tous mes prédécesseurs, je ne voyais ni les factures, ni les chèques. J’étais mobilisé tous les jours par des meetings en province, des émissions, des interviews, des réunions. Je n’avais, par ailleurs, aucune raison de mettre en doute la parole de mes équipes et aucune raison d’imaginer qu’elles me donnaient une autre explication que la vérité. Aucun de ceux qui étaient en charge de ces questions ne m’a jamais rien dit. Et comme je n’ai jamais eu aucun élément d’alerte, je n’avais aucune raison de me méfier, en particulier de ceux que, pour une part, j’avais nommés pour me seconder. D’ailleurs, les comptes de l’UMP avaient été, comme l’exige la loi sur le financement des partis politiques, validés par les experts-comptables et certifiés sans aucune réserve par deux commissaires aux comptes.

Alors oui, en conscience et après y avoir, vous vous en doutez, cent fois repensé, je ne pouvais savoir, ni même surtout imaginer, ce qui m’avait été sciemment dissimulé.
Et avec tous ceux qui, depuis la révélation de cette lamentable affaire, sont allés expliquer : « Mais enfin, comment se pouvait-il que Copé ne sache pas ? C’est impossible ! Soit il est nul, soit il est complice ! », je voudrais juste partager cette expérience : en vérité, aucun patron, d’aucune organisation, ne peut avec certitude garantir qu’il est en toute hypothèse informé de tout. Et je recommande à toute personne de bonne foi qui a eu à exercer des fonctions de direction, de se demander si elle est certaine de ne pas avoir eu, au moins une fois dans sa vie, à affronter ce type de situation.

J’en ai tiré une leçon : un cercle de confiance, pour un chef, quel qu’il soit, est aussi un cercle de vulnérabilité. Aussi rassurant que cela puisse être, une équipe de collaborateurs ne doit pas être monolithique. Et, aussi précieux soient-ils, les critères du dévouement et de la compétence ne peuvent suffire. Le choix de ses collaborateurs doit être guidé par la diversité : diversité d’âges, d’expériences, de profils. Parce que c’est cette diversité qui garantit que, en toutes circonstances, l’un d’eux peut décider de tirer le signal d’alarme.

Alors, oui, je me suis senti trahi. Mais il m’a paru naturel, si douloureux que cela ait pu être et soit encore, d’en assumer la responsabilité politique. Et c’est le 27 mai 2014 en un peu moins de deux heures que tout s’est joué... et que j’ai tout perdu.

Ce matin-là, le contexte est idéal pour ceux qui ont envie de voir à quoi ressemble une mise à mort en politique. L’enquête judiciaire ayant à peine commencé, chacun pouvait s’offrir son lot de supputations à charge me concernant ! Un pur régal pour ceux qui avaient quelques comptes à régler. D’autant que la désormais fameuse « Bygmalion » était pour partie dirigée par d’anciens de mes collaborateurs et qu’un hebdomadaire, peu étouffé par les scrupules, avait évoqué, sans aucune preuve, que j’aurais ainsi constitué un « trésor de guerre », ce que fort heureusement les enquêteurs ont immédiatement vérifié et infirmé quelque temps après, me rendant déjà ainsi, sans préjuger de la fin de l’enquête, une partie de mon honneur.

Lorsque j’ouvre cette réunion du Bureau politique je crois naïvement pouvoir encore les convaincre. On est toujours naïf quand on est innocent. Je m’étais trompé de combat. J’étais venu avec mes arguments précis, détaillés, apportant la preuve que j’étais totalement étranger au scandale qui courait les rédactions et qui conduisait bien trop vite à me désigner comme le responsable d’une affaire qui, en réalité, m’avait été totalement dissimulée. Je pensais ces arguments rationnels, je les savais sincères, je les ai exposés. Mais je comprends très vite en croisant les regards qu’il ne s’agira ni d’une discussion, ni d’un jugement, mais d’une exécution.

À l’image de la diatribe terrible de cette femme politique ouvrant le feu, la première : « L’affaire Bygmalion », hurlait-elle sans rien en savoir, « n’est pas liée à la campagne présidentielle de Sarkozy ! Ce sont tes amis et eux seuls ! Et toi, tu n’es pas simplement complice, tu es le coupable ! »

Certes, quelques-uns de mes amis tentent courageusement de répliquer. En écoutant l’un d’eux, plutôt inattendu, l’émotion me gagne. Mais leur voix est instantanément couverte par le brouhaha, tandis que chaque parole portée à charge est écoutée dans un silence religieux...

Pour supporter ce moment j’ai vécu un phénomène que les psychologues connaissent bien : je me suis dédoublé. Ainsi, mentalement, je me regardais faire face à l’ensemble de ceux qui, l’un après l’autre, prenaient la parole avec des arguments lapidaires pour demander ma démission de la présidence de l’UMP. Et, petit à petit, j’ai compris ce que seuls ceux qui ont eu à vivre ce type de scène, véritable phénomène de meute, peuvent mesurer. J’ai perçu l’effet d’emballement. Vous savez, ce moment très court (deux, trois, quatre semaines, pas plus) durant lequel un groupe peut perdre la raison, peut entrer dans une véritable folie collective.

René Girard, grande figure intellectuelle française, décédé le 4 novembre dernier, l’explique très bien dans la passionnante théorie du bouc émissaire qu’il a développée.
Je me suis essayé à appliquer cette théorie à la droite française au lendemain de la défaite de Nicolas Sarkozy en mai 2012. Voilà en effet que, au lendemain de cette défaite, tous les leaders de la droite se mettent à désirer la même chose : la place de candidat à la présidentielle de 2017.

C’est l’application du « désir mimétique » dont parle René Girard. Tous se mettent d’autant plus à désirer cette place que, après avoir côtoyé Nicolas Sarkozy de très près pendant de nombreuses années ils se sont, pour beaucoup d’entre eux, imaginé qu’ils pouvaient faire comme lui et devenir à leur tour le chef de notre pays...

Comme il n’y a qu’un seul lit pour de nombreux rêves, cela crée un climat de tension de plus en plus fort qui dégénère au point d’empoisonner la vie commune de ce microcosme qu’est la direction d’un parti politique. C’est la violence qui règne à tous les étages, et bien au-delà, d’ailleurs, de ce qui pouvait opposer mes amis à ceux de François Fillon. À tel point que, pour ramener la paix, il faut désigner un bouc émissaire.
Et le bouc émissaire, pas de chance, c’était moi.

Au bout de deux heures, la quasi-totalité du venin disponible a été produite. Même si quelques seconds couteaux demandent à leur tour ma démission pour montrer à leurs mentors respectifs qu’ils leur sont tout dévoués, la messe est dite.

J’annonce mon départ sous les hourrah de quelques-uns. Les visages des procureurs se détendent. J’aperçois au fond de la salle deux amants cachés qui s’embrassent de joie. Mais mes vieux copains sont en larmes. Ils n’avaient jamais vu ça. Moi non plus.
Je sors de la salle en affrontant les regards... Drôle d’impression. Dégoût ? Pitié ? Résignation ? Surtout tenir le coup. Rester digne. La réunion suivante a lieu avec les députés copéistes. Ils viennent en très grand nombre. Je les adjure de croire en mon intégrité. Ils m’applaudissent et me jurent fidélité, seul rayon de soleil de la journée. Dix- huit mois plus tard, ils ont tenu parole et sont toujours là. Au-dehors, la clameur de la ville n’est pas belle à entendre. Sur une chaîne d’information continue, un éditorialiste parisien connu jubile à l’antenne : « Copé va disparaître dans les égouts, c’est sa place ! ». 
Mais il faut aller au bout de la journée. À 20 heures, sur le plateau de TF1, je redis mon innocence et j’annonce aux Français que je vais entrer dans une longue phase de silence, et qu’après ce temps, je ferai de la politique autrement.

En sortant du studio de TF1 avec mon épouse Nadia, mon téléphone sonne. C’est... Manuel Valls. Je n’en crois pas mes oreilles. Il m’adresse des phrases de réconfort qui, vous l’imaginez, dépassent tous les clivages. Nous qui ne cessons l’un et l’autre depuis des années de bousculer les tabous dans nos partis respectifs tout en nous affrontant dans les débats, avons eu ce soir-là un échange court, vrai, profond.
Puis vient le retour à la maison. Fatigue. Grande fatigue. Les images se bousculent dans ma tête, comme le bruit des voix entendues le matin.

Les paroles d’une chanson d’Yves Montand soudain me reviennent : « ils m’ont frappé sur la tête, je ne me souviens plus très bien ; parce que j’en suis mort ». Je positive en me disant que j’aurai enfin des vacances, que je retrouverai mon piano. Et surtout nos six enfants. Nos enfants chéris. Éprouvés bien sûr de voir leur père et beau-père sali, insulté, brocardé sur toutes les télés, les radios et les réseaux sociaux. Mais tellement dignes. J’en prends la mesure lorsque arrive le lendemain matin. Parce que, si incroyable que cela puisse paraître, même dans ces moments-là où la nuit semble interminable à force de garder les yeux ouverts, le jour finit par se lever. Un SMS apparaît : « Papa tu es le meilleur, je t’aime. » C’est François-Xavier. Mon fils aîné. 19 ans. C’est la première fois depuis que la technologie des SMS a été inventée qu’un de mes enfants m’écrit une chose pareille. Je me précipite pour l’appeler. Il étudie à Londres. Lui, dont la voix est toujours forte et assurée, me lance timidement un « Ça va ? » qui, dans mon esprit, résonne comme l’appel de toute sa fratrie, comme une sourde inquiétude du genre « Ils vont nous le tuer ! »

Ma réponse claque comme un réflexe immédiat : « Évidemment que je vais bien, même si c’est violent ! Mais tout est relatif. Pense à ton grand-père qui à 13 ans a échappé à la rafle des nazis à Aubusson ! C’est ça les vraies épreuves ! »
« Ah ! oui, bien sûr ! » réagit tout de suite François-Xavier retrouvant toute sa voix, après avoir mesuré que je ne me jetterais pas dans la Seine...

Dans ma famille, la référence à la rafle de novembre 1943 qui eut lieu à Aubusson, c’est comme un code. Le signe qu’une petite lumière nous protège quand tout semble perdu. Cette lumière, il y a soixante-dix ans, avait pris le visage d’une femme, Mme Léonlefranc. Une Juste. Épouse d’un tapissier, elle a, ce jour-là, au péril de sa vie, ouvert la porte à une famille qu’elle n’avait jamais vue, la famille Copé. Elle les a cachés dans la chambre de son petit appartement. À l’officier SS qui a sonné à sa porte quelques minutes plus tard, elle a répondu avec un tel calme, que le miracle s’est produit : il a jeté un œil dans l’entrée, un regard vers la cuisine attenante puis il est reparti.

Cette histoire nous a tous construits. Parce que, dès notre plus jeune âge, mon père l’a racontée mille fois à chacun de ses trois enfants. Et il nous a répété mille fois ce même message : « Ne laissez jamais dire par personne que la France est raciste ou antisémite. Parce qu’il y a eu des salauds, mais il y a eu aussi des Justes ! Des Justes ! »
« Et réfléchissez sans cesse à la manière de rendre à la France ce qu’elle nous a donné ! »
Alors, dans notre famille, on aime passionnément la France.

Et pour moi, dès le plus jeune âge, il est apparu comme une évidence que servir la France me commandait l’engagement politique.
Autant vous dire que cette histoire et la conscience de cette petite lumière ont pesé lourd, très lourd, au lendemain de la curée haineuse du 27 mai 2014.
Car, pourquoi le nier, je me suis sérieusement, sincèrement, profondément demandé si je devais continuer l’action politique ou tout arrêter. Renoncer, simplement. Renoncer face à la violence des attaques, à l’ampleur des calomnies.
Il y avait de quoi en vouloir à la terre entière !

À ces proches qui avaient trahi ma confiance. À ces alliés qui m’avaient oublié. À ces concurrents qui m’avaient frappé debout, assis, couché... puis laissé pour mort. À cette arène politicienne où le bouc émissaire avait servi durant un court moment de cible pour une réconciliation factice et provisoire entre des hommes et des femmes rongés par la détestation mutuelle.

Laisser tomber. Abandonner. Renoncer. Lâcher prise. Changer de route. Destin brisé.
Et, tout à coup, un déclic. Une petite voix qui dit non.
Non parce que renoncer c’est choisir la facilité. Or toute ma vie j’ai refusé la facilité : en étant élu à Meaux plutôt qu’à Neuilly ; en construisant une identité parlementaire alors que Nicolas Sarkozy m’avait interdit l’accès au gouvernement ; en menant des combats, tel celui pour l’interdiction de la burqa ou, dans un autre registre, en faveur de la parité dans les conseils d’administration.
Non parce que renoncer c’est donner tort à ces quelques voix venues me dire : « Tenez bon ! Prenez le temps qu’il faut pour que la Justice confirme votre innocence aux Français, et revenez ! »

Non enfin parce que renoncer, c’est oublier le serment fait à mon père, en mémoire de Mme Léonlefranc.
Mais alors, ne pas renoncer, c’était m’imposer deux exigences absolues : pardonner d’abord ; mais aussi accepter de me remettre profondément en cause.
Pardonner, c’était répondre à une question : est-ce que je leur en veux ?
Est-ce que je leur en veux ? Non, car la pression autour de l’événement aurait fait perdre la raison au plus froid des esprits.

Non. Ils ne pouvaient pas savoir qu’au moment même où je me débattais, ma mère se débattait aussi mais contre la mort à l’hôpital.
Non. La folie de l’instant a fait que même les plus courageux n’ont pas réussi à aller contre l’inexorable besoin de me condamner.
Non. De moi-même, j’ai compris qu’il fallait un bouc émissaire pour ramener la paix dans ma famille politique. Volontairement, j’ai pris mes responsabilités. Je me savais innocent. J’étais sacrifié.
Ils m’ont rendu service : cette démission je l’ai très vite considérée comme un mal pour un bien, une souffrance indispensable. Peut-être même une chance. De cette épreuve, j’ai décidé de puiser une force.

Parce que là s’imposait la seconde exigence : accepter de me remettre en cause.
Jusqu’à présent, ma conception de la politique avait été celle d’un parcours initiatique au service de mon pays avec une progression étape par étape pour apprendre, pour comprendre et pour agir : maire, député, ministre, président de parti... Une sorte de parcours d’un jeune homme bien sous tous rapports, à qui globalement tout réussissait.
Mais justement, c’est aussi là que le bât avait blessé. Vous connaissez cela très bien. C’est un piège classique. À force de vouloir faire la course en tête, on se laisse déborder par ses défauts au point de devenir la caricature de soi-même. Et ça, ce n’était pas la faute des autres ! D’ailleurs, démissionner de la présidence de l’UMP était aussi pour moi une manière d’assumer les choses aussi dignement que possible. « Tu es arrogant, cassant », « arrête d’avoir réponse à tout », « pourquoi as-tu ce sourire narquois de l’énarque qui toise tout le monde à la télé », « montre-toi plus humain, redeviens ce que tu étais avant ! ».

Il faut vous le dire : j’étais tellement assommé, que les reproches tournaient autour de ma tête comme ces étoiles qui tournoient au-dessus de la tête des Romains une fois qu’Obélix a fini le travail... Je n’avais pas d’autre choix que de les entendre, incapable d’y répondre.

Donc si, malgré les injures et les mensonges publics, je décidais de poursuivre le combat au service de cette France qui m’a tant donné, alors je ne pouvais plus faire l’économie d’une profonde remise en cause. Une remise en cause que je sentais nécessaire depuis longtemps et que j’avais toujours reportée, par manque de temps – ma vie à l’époque était une succession frénétique de réunions, meetings, déplacements, médias, sans pause ni réflexion possible – mais surtout, avouons-le, par manque de volonté. En clair, même si je mesurais la violence des autres, il n’était plus question pour moi désormais de nier que mes propres défauts y avaient contribué...

Et puis, il y a les faiblesses du système politique tel qu’il est. Bien sûr, j’ai passionnément aimé présider ma famille politique. J’ai aimé le choc des idées, la chaleur des militants, leur engagement total, désintéressé et courageux. La politique, c’est la réflexion puis l’action, mais ce sont aussi des rencontres, une grande aventure humaine.

Cependant, déjà dans l’exercice de mes fonctions de chef de parti, les limites de la politique à l’ancienne m’apparaissaient clairement. Des limites qui n’épargnent personne et qui concernent tous les partis, des plus centristes aux plus extrêmes : le peu d’emprise des appareils partisans hors du petit monde politique, les combinaisons et la lutte des ego plus fortes que la formulation de solutions pour les Français, la recherche de compromis au prix d’incompréhensibles contorsions idéologiques, le goût irrésistible de la petite phrase qui tue, la course aux matinales et aux chaînes info, le décalage grandissant entre les beaux discours parisiens et la réalité du quotidien en France... Mais comment changer tout cela quand on est accaparé par les exigences d’un parti politique ?

Alors ce recul par rapport au monde politique a été, c’est vrai, une épreuve mais, paradoxalement, il a aussi été une vraie chance. Une chance pour souffler. Pour entamer un profond travail de résilience et redevenir moi-même. Pour trouver des réponses personnelles à la question troublante que me posaient un peu tristement tant de mes administrés à Meaux : « Pourquoi l’homme que l’on connaît et que l’on aime ici apparaît-il si différent, si arrogant à la télé ? »

Mais aussi et surtout, une chance pour comprendre quelles peuvent être les racines de ce malaise qui « sinistre » la poli- tique et désenchante notre pays.
Dès l’été 2014, j’ai pris ma voiture avec ma famille et nous sommes partis retrouver un peu de ce contact simple, direct et franc, avec les Français. Ce contact qui me manquait tant dans le tourbillon médiatique parisien.

J’ai choisi d’abord le Massif central, cette terre qui a donné Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac à la France. J’y ai vu des gens heureux dans leur vie personnelle mais souvent déçus, désabusés, voire dégoûtés par la politique. J’ai vu des Français résignés ou désespérés qui ne voyaient plus d’issue pour notre pays, qui s’inquiétaient pour leurs enfants. J’ai entendu des compatriotes qui me disaient, ce sont leurs mots, sans haine mais froidement : « on ne vous croit plus », « la droite et la gauche, c’est pareil, ça fait trente ans qu’elles échouent », « il ne nous reste plus qu’à renverser la table », « si on ne réagit pas maintenant, après nous serons foutus... ».
Je les ai longuement écoutés. J’ai réalisé que mon devoir était de comprendre et d’analyser ce désespoir. De ne pas le rejeter. D’assumer un regard critique sur nos échecs. De me mettre à l’écoute, de chercher et de trouver, avec eux, des solutions pour sortir de l’impasse. En d’autres termes, de faire de la politique autrement.

Alors je me suis astreint à une discipline : du silence, du travail, du terrain. Plus de politique politicienne. Plus de médias. Du fond. Prendre le temps. Je ne pouvais pas renoncer. Je devais continuer, mais autrement. En un mot : recommencer !

J’ai pris mon bâton de pèlerin. J’ai parcouru cette France dite « profonde » et de plus en plus « périphérique » : Cantal, Cher, Dordogne, Oise, Corrèze, Vaucluse, Nord, Nièvre, Haute-Garonne, Finistère... Cette France si belle mais par- fois délaissée où les Français se sentent souvent tenus à l’écart, victimes de la mondialisation, alors qu’ils possèdent en eux tant d’atouts et d’énergie. J’ai rencontré aussi des chercheurs ou des entrepreneurs « connectés », leaders dans leurs domaines, qui réfléchissent hélas souvent à construire leur avenir ailleurs. J’ai échangé avec des experts qui se pro- jettent dans les trente ans qui viennent. Génération France, club que j’ai lancé en 2006, a entamé un cycle régulier de réflexions passionnantes, avec une liberté d’expression totale, sur l’éducation, la politique internationale, la lutte contre le terrorisme... J’ai donné un cours à Sciences Po. Certains étudiants étaient français, la plupart étrangers. On y a parlé d’économie, de droit, de mondialisation. L’occasion d’une stimulante émulation intellectuelle. D’une ouverture sur le monde. Je me suis rendu aussi à l’étranger pour m’inspirer de ce qui fonctionne ailleurs, sans jamais oublier que tout n’y est pas forcément toujours plus beau qu’en France.

Et puis surtout, avec mon équipe municipale, j’ai redoublé d’efforts à Meaux, cette ville populaire et généreuse, que j’aime profondément. Un concentré de France, planté dans la Brie, à quelques kilomètres de Paris.

Certes, l’envie de réagir publiquement à tel ou tel événement intervenu en France ou dans le monde m’a parfois taraudé. D’où ce blog ouvert au début de l’année 2015, pour raconter par petites chroniques successives mes découvertes, mes émotions dans les domaines les plus variés de la vie humaine, et que je vous invite à parcourir et à partager.
C’est vrai aussi que, ayant choisi de m’abstenir de tout discours, meeting, réunion publique, la vue régulière d’un micro à proximité m’a fait le même effet traumatique qu’un ancien fumeur invité à une soirée où les cigarettes sont consommées en masse, mais qui n’en accepte aucune ! Autant dire que c’est aussi une période où je confiais à mes amis mon entière disponibilité pour animer leurs cérémonies de mariage, communions et anniversaires, seul support que je m’autorisais pour glisser, entre deux compliments, ce que je pensais de la France...

Tous ceux qui, sur le plan professionnel, ont eu à connaître ce type d’épreuve le savent : ce sont les moments où les vrais amis sont là. Présents, attentifs, touchants, inattendus même. Alors que tant m’avaient condamné d’office, ils ont bien voulu me croire lorsque je leur ai juré mon innocence, en attendant que la justice le confirme. Sans oublier mon épouse Nadia, qui travaille à mes côtés depuis six ans, impressionnante de solidité. Nos enfants, notre cercle familial le plus intime, eux aussi si courageux et dignes.
Et puis il y a le temps. Le temps qui a passé et qui, au fil des jours, est devenu mon meilleur allié.

Le temps de réfléchir, le temps de mettre en perspective, de penser un projet. Dix-huit mois pour remettre de l’ordre dans mes idées. Des idées qui ont toujours été les miennes mais dont, pris par le rythme de l’actualité et l’emballement des sollicitations médiatiques, j’avais trop souvent oublié de mettre en évidence l’articulation, la cohérence et la continuité. Des idées forgées et confortées, au fur et à mesure, par l’expérience de mes fonctions de maire, de député et de ministre. Dix-huit mois d’une véritable quête pour formaliser ce que je sais de la France et des Français. Et ce que je veux pour la France et les Français.

Cette quête est aujourd’hui suffisamment avancée pour que le temps soit venu d’en partager les fruits avec les Français de bonne volonté qui, quelle que soit leur sensibilité politique, philosophique, religieuse, ont envie, à l’aube du grand débat national qui va s’ouvrir, de s’engager, de dialoguer, de débattre.

Pendant dix-huit mois, je n’ai eu qu’une ambition, un unique objectif : trouver les voies et moyens de réconcilier les Français avec la politique afin de mettre en œuvre, ensemble, les solutions qui vont permettre à la France d’opérer son sursaut. J’ai voulu m’adresser à tous ceux qui nous disent « on ne vous croit plus », « vous savez ce qu’il faut faire, nous savons ce qu’il faut faire, tout le monde sait ce qu’il faut faire, alors pourquoi ne le faites-vous pas lorsque vous êtes élu ? ».

C’est à cette question que, par ce livre, je veux répondre. La France est familière des grands et prestigieux débats idéo- logiques sur le « quoi » et le « pourquoi » de la politique. Les responsables politiques en parlent avec talent et lyrisme, spécialement lors des campagnes électorales. Mais à l’heure où le consensus se fait assez largement sur ce terrain, c’est le « comment » qui seul importe et sur lequel on ne s’interroge que rarement. « Comment allez-vous faire », « qu’est-ce qui nous prouve que vous avez trouvé les outils qui permettront de contourner ou de surmonter les conservatismes ? ».
Le discrédit du politique et, plus largement, la déception autant que le pessimisme dans l’avenir trouvent un terreau fertile dans les grandes promesses de changement. Chacun, en campagne quasi permanente, outre qu’il se présente comme la condition sine qua non du redressement, donne une lecture outrancière et simplificatrice de son programme ciblant son objectif et son ennemi. Mais la déception résulte toujours du même constat : d’une part les politiques français ne font pas ce qu’ils ont promis, souvent parce qu’ils ont fait des promesses qu’ils savaient ne pas pouvoir tenir, et d’autre part ils ne font pas tout court, faute d’avoir réfléchi au « comment », c’est-à-dire à la méthode de gouvernement. L’objet de ce livre est donc d’ouvrir une autre voie. De faire le pari que l’on peut sortir de la spirale de la déception et de la désillusion. Faire le pari que l’on peut réconcilier « conquête » et « exercice du pouvoir » en se plaçant sur le terrain de la méthode. Montrer que toutes les conditions sont réunies pour un sursaut. Et que le Sursaut français passera par une offre politique totalement nouvelle, plus ambitieuse dans l’obsession du résultat et plus sobre dans la liste des objectifs à atteindre.
Parce qu’il s’agit d’imaginer les remèdes à ce qui s’analyse aujourd’hui comme un véritable malaise français, je veux avec vous d’abord en identifier les symptômes et poser le diagnostic.

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