Les politiques face à la révolution des nouvelles technologies
Mardi 6 février dernier, j’ai eu le plaisir d’animer une soirée-débat durant laquelle nous nous sommes demandé si les hommes politiques avaient encore prise sur le cours des choses. Une question passionnante face au tournant technologique pris par la France du XXIe siècle...
En 2017, la somme des capitalisations boursières des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) a dépassé la richesse produite par la France la même année, avec 2 331 Mds € de valorisation pour les GAFA contre 2 288 Mds € de PIB pour la France. Leur force de frappe sur nos habitudes de vie est inégalée. De plus en plus puissantes, les entreprises technologiques inquiètent les citoyens et les responsables étatiques. L’économie-monde prend une ampleur sans précédent. Le big-bang numérique touche l’humanité tout entière : la temporalité est abolie, la spatialité réduite et la connectivité démultipliée.
Le monde politique est chahuté de toute part et l’Etat-nation remis en cause. Les revendications communautaires croissent. Les Français perdent confiance en leurs politiques devant l’absence de résultats : “on ne vous croit plus”.
Pour entrer de plain-pied dans ce nouveau monde du XXIe siècle, les politiques ont à repenser leur manière d’agir. Ils doivent se saisir de ces mutations pour continuer de protéger leurs concitoyens et d’améliorer leur bien-être quotidien.
Loin d’être condamnés à l’impuissance, les politiques doivent trouver un nouveau schéma d’exercice du pouvoir pour préserver les valeurs républicaines françaises :
1. Il est indispensable que les hommes politiques commencent par rétablir le lien de confiance avec leurs concitoyens en renouant avec l’obligation de résultats. La construction d’indicateurs permet une évaluation concrète des résultats obtenus. En tant que maire de Meaux, je me suis toujours astreint à cette exigence de résultats et en mesurant de manière méthodique, on arrive loin, très loin. Je prendrai avec vous l’exemple de la délinquance à Meaux car il est le résultat le plus flagrant qu’en étant déterminé et en ayant une vision claire du problème, il n’existe pas de fatalité mais uniquement des résultats. En 1995, quand j’ai été élu maire de Meaux pour la première fois, le taux de délinquance était très élevé : supérieur à 100 crimes et délits pour 1 000 habitants. J’en ai donc fait ma priorité avec pour pari de résorber cette délinquance excessive. Tolérance zéro, travail partenarial au quotidien sur le terrain (Ville, police, justice, Education nationale), mise en place de l’un des plus grands centres de supervision urbain français, plus de 200 caméras installées et près de 90 agents de police municipale déployés. Résultat : en 20 ans, j’ai divisé le taux de délinquance par deux.
2. Le rôle du politique est également d’avoir une vision de long terme pour son pays, d’inscrire son action publique dans la durée. D’autant plus que les attentes des citoyens envers les politiques, sont nombreuses, notamment du côté régalien (sécurité, armée, justice…) : les Français veulent être protégés physiquement des risques auxquels ils sont exposés, les Français souhaitent que l’on protège leurs données personnelles, les Français exigent que l’on protège leur qualité de vie. Ils veulent plus de protection sociale et plus de protection de la condition humaine. Comme le dit si bien Marcel Gauchet, « Le nouvel individualisme ne se résume pas à l’affirmation des droits individuels, il s’accompagne d’une demande redoublée de protection par la collectivité. ». Grâce à une vision globale de l’avenir, les politiques doivent fixer des règles, rassurer et encourager.
3. Les politiques ont pour responsabilité d’être au fait de toutes les évolutions technologiques et de créer les conditions de l’émergence de leaders français des NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives).
Le monde a connu deux révolutions technologiques et économiques majeures : celle de 1770 à 1850 qui voit l’avènement de la machine à vapeur et du chemin de fer ; celle de 1870 à 1910 qui porte en elle l’automobile, l’aviation, l’électricité et la téléphonie. Depuis les années 2000, une nouvelle révolution s’est enclenchée avec l’avènement des technologies NBIC. Cependant, cette troisième révolution ne ressemble en rien aux deux premières pour deux raisons principales : elle va toucher tous les pans de notre société et tous les citoyens. Les politiques ont pour rôle d’éviter d’aller vers une humanité à deux vitesses, l’une, ultraconnectée, l’autre, tenue à l’écart des innovations.
Ils doivent aussi réfléchir à l’usage que nous ferons du progrès technique... Les NBIC peuvent nous mener vers une mutation du genre humain. Vers l’eugénisme industriel. Vers un homme truffé de puces, robotisé. Jusqu’où faut-il aller ? N’avons-nous pas le devoir, dès aujourd’hui, de poser des limites éthiques aux développements infinis que la technique pourrait nous offrir demain ? Ces questions sont profondément structurantes pour le siècle qui vient.
Il me semble en tout cas que tout homme politique a le devoir de se confronter à ces nouvelles technologies. D’abord, parce le premier rôle d’un responsable public est d’anticiper les changements du monde plutôt que de les subir. Ensuite, parce que la France est à la pointe de l’innovation technologique, grâce à l’excellence de ses chercheurs et entrepreneurs. Il faut donc créer un environnement de liberté et d’innovation favorable à leur développement en France ! Enfin, parce qu’un homme politique qui refuserait de comprendre les évolutions permises par le progrès technique se couperait de ce que vivent ses concitoyens.
Tant qu’il y aura des hommes, il y aura besoin d’hommes politiques dans nos démocraties, garants de l’intérêt général et de l’État de droit.