Jean-François Copé, un Steinway dans la bouche

Une brutale envie de péninsule s’empara de mon âme étant donné la météo pourrie qui règne sur la France. Plutôt que de relire Promenades dans Rome d’Henri Beyle, Stendhal pour les intimes, j’ai suggéré à Jean-François Copé que nous nous retrouvions chez le meilleur sommelier du monde 2004, Enrico Bernardo. Ce soir-là, ce quadragénaire, génie de la bouteille, fut souriant dès l’accueil. Sa veste bleu canard mettant en valeur la minceur d’un homme qui ne néglige pas le jogging, tout en servant des œufs crémeux au lard de Colonnata et à la crème de pommes de terre ! Un poème pour le palais, surtout accompagné d’un magnifique Tignanello toscan. Mais nous fûmes plus light.

A 21 heures, Jean-François Copé, costume anthracite sans cravate, débarqua avec son épouse Nadia, dans cet endroit feutré avec le sourire résilient de l’homme qui a dû lire tous les ouvrages de Boris Cyrulnik ! Mais c’est l’observation de ses petits camarades, plus un non-lieu de la justice, qui l’ont guéri de l’affaire Bygmalion. « Les regarder faire la tronche quand ils me voient, l’impression qu’ils auraient pu danser sur mon cadavre, me fait sourire. » Effectivement, notre pianiste, amateur mais doué, est toutes dents dehors, comme s’il avait un Steinway dans la bouche. « Mon handicap, ce sont les sondages : 2 à 3 %, mais la situation va énormément évoluer, car l’étiage actuel [Juppé : plus ou moins 40 %, Sarko, autour de 25 % et Fillon et Le Maire à 11 ou 12 %] ne signifie rien. »

Pourquoi ? « Parce que la vérité va éclater. Il va falloir s’expliquer sur le fond. Or le boulet de tous les autres, c’est le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Alors quand Fillon, Juppé et dans une moindre mesure Le Maire racontent qu’on aurait dû faire plus de réformes et qu’au fond, ils ont été bridés par Nicolas Sarkozy, personne ne peut sérieusement les croire. D’ailleurs, quand j’arpente le pays, tout le monde me le dit. »

Castagne. Jean-François Copé est un personnage étonnant dont la France a le secret, il suffit de voir, en replay, son passage chez Ruquier samedi soir. Il pleut des averses de Moix… et lui, bronze ! Pourquoi y aller, puisqu’aucun des leaders de la droite n’y va ? « Parce qu’il faut s’adresser à tous les publics. Il faut résister à la castagne et au spectacle. D’ailleurs, Léa Salamé a fini par reconnaître qu’une grande partie de ce qui était écrit dans mon livre [Le sursaut français] avait nourri les idées des autres. Et Ruquier, pour sa part, a constaté que j’avais été mis hors de cause dans l’affaire Bygmalion. »

« Vous savez, depuis 2007, presque dix ans ont passé. Nicolas Sarkozy est un énergique incontestable, mais je regrette que seul l’esprit de revanche l’anime »

Copé ne pense pas une seule seconde que les instants vécus par cette joyeuse bande (les leaders de la droite) vont rester plongés dans le sommeil de l’Histoire. Lui, qui dirigeait le groupe UMP à l’Assemblée nationale, considère qu’il était hors du coup et qu’il ne sera jamais comptable de ce quinquennat. « Vous savez, depuis 2007, presque dix ans ont passé. Nicolas Sarkozy est un énergique incontestable, mais je regrette que seul l’esprit de revanche l’anime. »

Entre les gamberi et le léger dessert aux fraises, Nadia la brune resta discrète. Je perçus cette seule faille dans le contrôle : « Il est vraiment impatient d’y aller [à la primaire]. »

Malgré l’avalanche des critiques de ces derniers mois, JFC n’a pas la mémoire qui flanche. « Qui a théorisé la droite décomplexée ? [Sous-entendu, moi] Qui a proposé la TVA anti-délocalisation ? [Sous-entendu, lui] Qui a lancé la bataille anti-burka ? [Sous-entendu, le maire de Meaux] A chaque fois, il a fallu les convaincre et ils ont rarement été au bout de ce qu’ils auraient dû faire. » D’où le programme qu’il va défendre mordicus à l’automne : quinze ordonnances vitales pour sortir le pays de l’ornière. « On entre dans la survie. Pour sortir du coma, moi qui appartiens à une famille de médecins, il faut un urgentiste et des remèdes clairs. Je sais que Nicolas Sarkozy est opposé aux ordonnances. La campagne sera l’occasion d’en parler publiquement. »

Bonapartiste. Lorsqu’il était à Sciences Po avec Frédéric Beigbeder, David Pujadas, Isabelle Giordano et Anne Roumanoff (à chaque fois, on lui ressort cette hypothétique bande), Copé fut comme tous les étudiants, un lecteur des ouvrages de René Rémond sur les droites en France. Et il ne fait aucun doute : « Juppé et Fillon sont des orléanistes, Sarko et moi, des bonapartistes. En 2017, la droite molle n’a aucune chance. Car ce qui est en jeu dans le pays, dans le désordre ambiant, c’est la capacité du commandement. C’est l’un de mes rares points d’accord avec Sarkozy. Penser comme Juppé et Fillon, que les questions d’autorité et de communautarisme salafiste sont secondaires, montre une sacrée déconnexion du terrain. »

Parmi les poncifs éculés du journalisme et de la communication politique, le plus vaseux est certainement celui-ci : une élection, c’est un programme, pas un inventaire. Il est vrai que les nouveaux apôtres de la com’ pensent parfois qu’Emmanuel Kant est un footballeur allemand… « Qui peut croire que François Hollande va échapper à son bilan ? », poursuit JFC.

« Il faut souhaiter pour le pays que Valls tienne, car le comportement d’Emmanuel Macron est absolument indécent et le silence de Hollande assourdissant »

JFC pousse encore sa différence, en soutenant Matignon. « Aujourd’hui, il est capital que Valls ne lâche rien. » Il en rajoute : « Il faut souhaiter pour le pays que Valls tienne, car le comportement d’Emmanuel Macron est absolument indécent et le silence de Hollande assourdissant. » Il est vrai que la phrase de Macron, s’adressant à un barbu à T-shirt palestinien, enflamme les réseaux sociaux : « Le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler ! » Probablement libérée par une gorgée de Chambolle-Musigny, Nadia nous suggère cette réflexion : « J’ai l’impression qu’il pense que c’est facile la politique. Pour l’instant, il n’a pas trop souffert, mais un jour Emmanuel Macron sera rattrapé par la vie. » Copé opine : « On n’a pas besoin d’attendre la primaire pour mettre en lumière les blessures. La vie politique laisse des cicatrices, qui ne s’atténuent que si on a le sens de l’Etat. »

Ne lui demandez pas s’il a des nouvelles de Bastien Millot (collaborateur historique et Bygmalion boy), il répond : « Cette affaire est derrière moi, car les enquêteurs m’ont fait connaître, après investigation, que rien ne justifiait de me mettre en examen ». Ce qui ne l’empêche pas d’ajouter, l’air faussement innocent : « Cette affaire, dite Bygmalion, est en fait celle des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy ». Une autre séquence lui est restée au travers de la gorge : son passage au Budget. « Avant le CPE, avec Villepin, Breton et Borloo, nous avions quand même réussi, pendant des mois, à faire baisser les déficits et le chômage. Pendant la campagne de 2007, chez mes petits camarades, tout le monde a fait semblant de croire que ça n’avait pas existé. »

Machiavel : « La politique n’a rien à voir avec la morale, c’est la conquête du pouvoir »

Servir le pays. Pourquoi échapperais-je aux poncifs ? Redoute-t-il la violence de la rentrée politique ? « Pas du tout. Pour l’instant, on ne peut pas s’entendre parce qu’on est tous concurrents… » mais viendra « la nécessité de servir le pays… » Puisque l’été approche, malgré les apparences, je m’interroge sur les raisons qui font que les hommes politiques de haut niveau bronzent sous la pluie.

Rentré chez moi, je saisis le texte fondamental, Le Prince de Machiavel. Notre grand ancêtre d’Enrico Bernardo y a consigné cette phrase, qui ne se veut pas blessante, mais réaliste : « La politique n’a rien à voir avec la morale, c’est la conquête du pouvoir. »

Ah, j’oubliais ! Je tenais à annoncer à la direction de l’Opinion que j’avais payé l’addition, malgré une sincère proposition de JFC.

C’est bizarre, Machiavel n’a rien écrit là-dessus.

21 heures, mardi dernier, restaurant Il Vino, 13 boulevard de la Tour-Maubourg, Paris VIIe.

Partager cet article

Jean-François Copé ne veut pas d’une "droite molle" IN Ouest FranceLire cet article

En amont d’un déplacement de trois jours en Ille-et-Vilaine, Côtes-d’Armor (…)

J’étais l’invité de l’émission "On n’est pas couché" le 28 mai 2016Lire cet article

Revoir le podcast de l’émission de Laurent Ruquier, "On n’est pas couché", du 28 mai 2016