IA : Face à la Chine et aux Etats-Unis, l’Europe doit montrer ses muscles
Dans la course infinie vers l’« IA Nation », nos concurrents américains avancent à grand pas, la Chine réalise un immense bond en avant, tandis que l’Europe reste à la traîne. Les élections européennes doivent être l’occasion de nous mettre à la table d’un nouveau Yalta du numérique.
La taxation des GAFAM et les inquiétudes au sujet de Huawei accaparent nos discussions, quand ce ne sont pas la peur du chômage et du déclassement que les robots alimentent. Au fond, nous sommes incapables de penser l’intelligence artificielle sans être sur la défensive. Les inquiétudes sont légitimes, mais elles ne doivent pas mobiliser entièrement notre énergie. La priorité est de mettre en place les conditions qui permettent à nos champions d’éclore et de se battre dans la compétition mondiale. Il faut que la France et l’Europe partent à la conquête de l’IA.
Qu’on le veuille ou non, en matière d’IA, big is beautiful. Quand la ville de Tianjin, en Chine, prévoit de dépenser 14 milliards d’euros dans un fonds dédié à l’IA, quand le budget de recherche d’Amazon dépasse les 22 milliards d’euros en 2018, la France présente un budget de 665 millions d’euros sur cinq ans ! Résultat des courses : 17 % des licornes du numérique sont basées en Europe, majoritairement en Allemagne et au Royaume-Uni, et une seule, BlaBlaCar, est recensée dans notre pays.
Si nous ne voulons pas être hors-jeu, il est indispensable de faire équipe au niveau européen. Prenons le capital-risque, essentiel pour investir dans les pépites de demain. Si l’Union européenne a pris la mesure de notre retard avec la mise en place du fonds VentureEU, il faut aller plus loin et mutualiser les ressources de l’ensemble des institutions nationales de participations afin de financer nos licornes.
Harmonisation. Alors que la data ne connaît pas de frontières, l’Europe continue d’être hérissée de barrières fiscales et réglementaires. S’il n’y a pas de consensus autour de la taxation des GAFAM, il peut sans doute y en avoir un pour atténuer la fragmentation fiscale. Sans harmonisation, nous ne parviendrons pas à créer les effets de seuil permettant de nous hisser au niveau de nos concurrents. Alors que les Etats-Unis exonèrent fiscalement les bénéfices réinvestis en R&D pour dynamiser les investissements dans l’IA, l’Europe serait bien inspirée d’en faire autant.
Si favoriser l’éclosion de start-up reste fondamental, ce n’est pas suffisant. Il faut que l’Europe se dote de géants industriels aux épaules suffisamment larges et aux poches assez grandes pour investir en R&D. Alors que le géant du rail chinois, CRRC, s’apprête à lancer un TGV entièrement automatique, la Commission européenne a préféré dépenser son énergie à bloquer la fusion Alstom/Siemens. Le droit de la concurrence européen doit mieux prendre en compte la compétition internationale.
Enfin, dans cette guerre de l’IA, les données sont les munitions des start-up. En plus de la création d’un cloud européen, l’enjeu est de développer une infrastructure européenne d’accès en ligne à l’ensemble des services publics, basée sur la sécurité de la blockchain et la transparence du RGPD, comme en Estonie. Mieux accessibles, mieux diffusés, les services en ligne made in Europe pourront demain contrecarrer les dessins tentaculaires des GAFAM.
L’IA doit redonner souffle au projet européen encore en proie à une angoisse existentielle mortifère. Nous avons les moyens d’y arriver, ayons la volonté de le faire !
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Tribune de Jean-François Copé publiée le 24 mai 2019 sur le site de l’Opinion et dans la version papier du journal.