Et si la loi El Khomri ouvrait la porte au communautarisme ?
Bien sûr, la nouvelle version du projet de loi El Khomri ne sera rendue publique que lors du prochain conseil des ministres. On n’en connaît pour l’heure que les reculades que le Premier ministre a malheureusement actées le 14 mars dernier, suite aux pressions des syndicats. Beaucoup a déjà été écrit sur cette loi qui, présentée comme la grande réforme du quinquennat, tourne finalement à la pantalonnade : le marché du travail risque de rester plus figé que jamais et cela au détriment de près de 6 millions de personnes inscrites à Pôle emploi.
Mais je voudrais alerter sur un article qui figure dans l’avant-projet de loi de février et qui est passé largement inaperçu alors qu’il est potentiellement explosif.
Si cette disposition était maintenue – ce que je redoute – cela pourrait devenir un sujet majeur. Je m’explique. Par l’article 1er de l’avant-projet de loi, il est prévu de créer un Préambule du code du travail qui énoncerait les « principes essentiels du droit du travail ». Parmi ces principes, celui qu’énoncerait, dans les termes suivants, l’article 6 du futur préambule : « La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »
En clair, si cet article, rédigé de manière assez ambiguë, devait être maintenu, il pourrait mettre les entreprises en demeure de céder aux revendications religieuses de leurs salariés. Et ainsi, soumettre l’entreprise au communautarisme.
Dangereux alors que l’on sait déjà qu’existent des difficultés (par exemple à la RATP où des conducteurs refusent de monter dans un bus au motif qu’il aurait été précédemment conduit par une femme). Facteur de tensions supplémentaires alors que les salariés autant que les chefs d’entreprise ont, à cet égard, besoin que les choses soient clarifiées. Inquiétant puisqu’il s’agirait d’en faire un « principe ». Et en aucun cas « à droit constant », contrairement à ce qu’indique l’exposé des motifs de l’avant-projet de loi, puisque la liberté religieuse n’est pas, en l’état, expressément mentionnée dans le code du travail.
La réalité est que cet article risque de placer les chefs d’entreprise dans une situation intenable : que faire en cas de demande d’installation d’une salle de prière dans les locaux de l’entreprise ? Sur quelle base justifier le refus qu’un salarié en contact avec des clients porte des signes religieux ostensibles ?
La bataille de la laïcité, après avoir enflammé les crèches, pourrait donc gagner les entreprises ! Je tire le signal d’alarme : ne reculons pas une fois de plus sur ce sujet ! Ne reculons pas sur la laïcité dans les services publics ! Ne reculons pas sur la neutralité en matière religieuse dans les entreprises lorsqu’elle est nécessaire ! Donnons aux employeurs la base juridique pour ne pas être la proie de revendications intégristes.
C’est dans cet esprit que j’avais cosigné et défendu une proposition de loi avec nombre de mes collègues députés en avril 2013 sur la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations. Nous y proposions une rédaction sans aucune ambigüité qui donnait aux chefs d’entreprises les moyens d’encadrer les revendications religieuses.
Je vous la livre : « Sont légitimes, dès lors qu’elles sont justifiées par la neutralité requise dans le cadre des relations avec le public ou par le bon fonctionnement de l’entreprise et proportionnées au but recherché, des restrictions visant à réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse. »
A l’époque le gouvernement n’avait pas voulu nous suivre alors qu’il s’agissait de sécuriser les relations entre employeur et salariés dans le cadre de l’entreprise. Il s’agissait de permettre à celle-ci d’adopter en toute sécurité dans le cadre de son règlement intérieur des dispositions relatives aux questions religieuses. A l’inverse, l’avant-projet de loi El Khomri la placerait en position d’être dans l’obligation de répondre aux injonctions de certains de ses salariés.
Soyons donc vigilants. La loi El Khomri, en plus de ne pas régler les problèmes du marché du travail, ne doit pas fragiliser les entreprises sur la question religieuse. Je serai particulièrement attentif à la formulation retenue dans le projet de loi qui sera présenté cette semaine. Ce sujet est trop grave. On ne doit plus reculer ! Ne prenons pas le risque de voir le communautarisme gangrener l’entreprise !