Démission du général de Villiers : Jupiter et le syndrome d’Icare.
La démission du Chef d’Etat Major des armées (CEMA), le général Pierre de Villiers, ce 19 juillet 2017, appelle trois remarques.
1. Le Chef de l’Etat est le Chef des armées, mais, sur le fond, c’est bien le CEMA qui a raison sur la polémique qui l’a opposé à Emmanuel Macron.
D’évidence, nos armées manquent cruellement de moyens au regard des missions qui leur sont assignées, dans un monde marqué par la hausse des menaces, au premier rang desquelles se situe le terrorisme islamiste. Depuis 10 ans, de manière irresponsable, nous avons baissé la garde car nous avons cru que la France et l’Europe étaient entrées dans un monde post-historique où nous n’avions plus d’ennemis. Le choix a été fait de faire porter sur l’armée, plutôt que sur le social, une large part de l’effort de réduction des dépenses publiques. Quelques chiffres pour mesures l’ampleur du sacrifice : le budget de la défense est passé de 38,1 milliards € en 2007 à 31,4 milliards € aujourd’hui. Les effectifs ont été sabrés : – 41 840 personnes entre 2007 et 2012, -17 217 personnes depuis 2012...
Pour avoir passé trois jours, l’été dernier, aux côtés de nos soldats engagés dans le cadre de l’opération Barkhane dans la bande sahélo-saharienne, je peux affirmer que ces baisses de moyens ont entraîné une vraie paupérisation de nos forces et une obsolescence préoccupante des équipements qui amoindrissent nos capacités de défense tout en mettant en danger nos hommes qui œuvrent souvent dans des conditions de travail indignes.
Dans ce contexte, tout effort supplémentaire exigé met en péril l’équilibre déjà instable de nos forces. Le CEMA était donc fondé à tirer solennellement le signal d’alarme. On ne peut demander à nos armées de faire toujours plus avec toujours moins.
2. Le Président de la République s’est laissé piéger par les jeux de rôles traditionnels entre Bercy et le ministère de la Défense. Le ministère du budget a toujours essayé de rogner sur les moyens alloués aux armées. La vérité oblige à dire qu’il y a là une forme de facilité car, contrairement à d’autres secteurs publics, les militaires ne font pas grève et appliquent souvent à la lettre les plans d’économies qu’on leur impose. Le plan porté par Gérald Darmanin en est une nouvelle illustration : alors que la dépense publique représente 57% du PIB, la mission défense n’en représente qu’1,7% et pourtant on lui demande d’assumer 20% des économies...
Dans les rapports de forces qui s’établissent entre les finances et la défense, c’est au Président de faire preuve de hauteur de vue et d’arbitrer pour le long terme au détriment du court terme. A cet égard, la vision aurait été d’assumer une sanctuarisation du budget de la défense alors que la priorité absolue aujourd’hui est d’assurer la sécurité des Français. Jacques Chirac, en son temps, avait fait preuve de cette lucidité en décidant de préserver le budget de la défense. Le ministre du budget que je fus peut en témoigner et cette décision présidentielle ne m’a absolument pas empêché de laisser les finances avec un déficit réduit à 2,5% du PIB. Je regrette pour la France qu’Emmanuel Macron n’ait pas eu le même courage.
3. Le Président de la République a confondu autorité avec autoritarisme. Certes le chef de l’Etat a toujours le dernier mot et ne peut se laisser dicter sa conduite mais son erreur est d’avoir, comme souvent, soufflé la chaud et « en même temps » le froid au risque de devenir illisible et de perdre la confiance de ses interlocuteurs. Après avoir promis durant sa campagne d’augmenter l’effort de défense, après avoir reconduit le général de Villiers dans son poste de CEMA en lui donnant sans doute à cette occasion des gages sur les moyens financiers, le voilà qui a donné son aval à des coupes budgétaires massives dans nos armées. Où est le cap ? Où est la cohérence ? Où est la vision ? Il est compréhensible que le général de Villiers se soit senti floué et l’ait fait savoir, non pas dans la presse ou en public comme il en a été accusé, mais devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale. La réaction d’Emmanuel Macron, visant à humilier publiquement le premier de nos soldats pour affirmer sa prééminence, relevait d’une autorité prise en défaut qui compense son manque de légitimité par un excès d’autoritarisme.
De cet épisode regrettable, je tire donc un triste bilan : d’abord, la France a perdu un officier exceptionnel, qui, après de longues années de service, avait gagné l’estime générale. Il méritait certainement mieux que cette sortie à l’issue d’une polémique qui lui donne raison sur le fond. Ensuite, la France doit assumer en urgence un tournant sécuritaire pour se réarmer face aux menaces, la crispation de la communauté militaire qui a suivi cet épisode montre l’état d’inquiétude d’une armée qui ne se sent plus en mesure d’assurer sa mission. Cela ne peut durer. Enfin, le Président de la République a écorné l’image d’autorité qu’il tentait de se forger.
Jupiter pourrait bien être victime du syndrome d’Icare.