Attentat de Beyrouth : extension du domaine de Daech ?

Un attentat suicide revendiqué par Daech a frappé la banlieue sud chiite de Beyrouth hier, tuant et blessant plusieurs centaines de personnes. C’est l’attaque la plus meurtrière à Beyrouth depuis la fin de la guerre civile. La révolte, l’effroi, l’émotion m’envahissent en voyant le Liban, ce pays frère déjà si meurtri, une nouvelle fois frappé par l’horreur. Aujourd’hui, nous sommes tous Libanais. Au-delà de l’émotion, cet attentat m’inspire une colère, une crainte et un espoir. Je veux les partager avec vous.

1. Une colère : il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le Liban est menacé depuis des mois. Or, nous n’avons pas fait assez pour le soutenir. Avec Antoine Sfeir, en juillet dernier, j’avais tiré le signal d’alarme au sujet de la fragilité libanaise qui s’explique parce que :

le pays est profondément divisé entre pro-Assad (Hezbollah chiite, alaouites, chrétiens proches du général Aoun), anti-Assad (sunnites et « souverainistes » chrétiens de Samir Geagea) et « non-alignés » (chrétiens liés à l’ancien président Michel Sleimane et druzes de Walid Joumblatt). Cette opposition a conduit à une situation de blocage complet du jeu politique : la présidence de la République est vacante depuis mai 2014 et le mandat du parlement, qui aurait dû être renouvelé en juin 2013, a été prorogé à deux reprises, et court désormais jusqu’en mai 2017.

les belligérants syriens s’affrontent violemment sur le sol libanais via communautés interposées : à Tripoli les sunnites luttent avec les alaouites, les chiites sont cibles d’attentats d’extrémistes salafistes, des djihadistes syriens s’infiltrent dans l’Anti-Liban où ils combattent l’armée libanaise…

les réfugiés syriens représentent un quart de la population libanaise.

Comment, dans ce contexte explosif, expliquer que le Liban, malgré quelques initiatives trop isolées (La France et l’Arabie Saoudite ont notamment, de concert, renforcé l’armement des forces libanaises en avril dernier), n’ait pas reçu plus de soutien militaire, économique et diplomatique de la part de la communauté internationale ? Second motif de ma colère : l’incapacité (manifestée encore à Vienne fin octobre) des plus grandes puissances à établir une stratégie commune pour éliminer la principale menace actuelle au Proche-Orient, à savoir Daech. Ce relatif abandon du Liban par la communauté internationale couplé à cette impuissance face à Daech sont à compter parmi les causes directes du drame de Beyrouth.

2. Une crainte qui est double : d’abord d’une extension du domaine d’influence de Daech, ensuite d’un basculement du Liban dans la guerre civile. Avec cet attentat au Liban, qui fait écho à ceux qui ont frappé la Turquie et peut-être un avion russe au-dessus du Sinaï égyptien, Daech montre sa capacité à déstabiliser, non seulement l’Irak et la Syrie mais aussi l’ensemble du Proche-Orient. C’est là sa stratégie : exporter la haine dans toute la région afin d’alimenter un chaos sur lequel il compte bien prospérer. En ciblant un quartier chiite de Beyrouth, Daech cherche autant à punir le Hezbollah de son soutien au régime d’Assad qu’à dresser les communautés libanaises les unes contre les autres. Car le réveil d’une guerre civile au Liban pourrait bien se traduire par une lutte entre un front chiite et un front sunnite sur lequel Daech tenterait une OPA. Ce scenario du pire n’est pas à exclure.

3. Un espoir un peu fou : et si ce nouvel acte de barbarie de Daech était l’électrochoc qui réveillait la communauté internationale en général et la France en particulier ? Cet attentat montre que la capacité de nuisance de Daech n’est, pour l’heure, en rien enrayée. La communauté internationale, plutôt que de prendre acte de ses désaccords sur la question syrienne, doit de toute urgence s’entendre sur une stratégie pragmatique dont le but premier doit être l’anéantissement de Daech, quitte à négocier avec la Russie, l’Iran et l’odieux régime d’Assad. Dans ce cadre, la France doit abandonner sa ligne excessivement pro-sunnite. C’est la condition pour recouvrer une voix indépendante, faciliter le dialogue entre toutes les parties et permettre à la Syrie et au Liban, dont elle est historiquement si proche, de retrouver la stabilité et la paix.

Enfin, l’attaque de Beyrouth doit être l’occasion pour le Liban de prendre conscience du danger d’implosion qui le guette. Il s’agit, pour tous les Libanais de bonne volonté, de dépasser leurs différences pour se dresser face à l’ennemi commun qu’est le terrorisme. L’Union sacrée de toutes les composantes du Liban est le seule antidote au risque de résurgence de la guerre civile. En corollaire, la communauté internationale doit s’investir davantage aux côtés du Liban qui ne peut faire face seul au défi sécuritaire imposé par la guerre en Syrie, et au défi économique et social représenté par l’accueil de centaines de milliers de réfugiés sur son territoire. Le rôle de la France est d’être en initiative à ce sujet : il faut protéger le Liban qui, avec Israël, et malgré de nombreuses difficultés, reste le seul pays démocratique et pluraliste de la région.

Je l’ai dit à de maintes reprises et le redirai tant qu’il le faudra : Daech est un cancer qu’on ne doit pas laisser métastaser tout le Proche-Orient. La question de la stabilité de la région n’est pas une problématique lointaine et abstraite pour nous Français : Daech menace d’embraser une zone essentielle à la stabilité géopolitique et économique du monde entier ; Daech nous a déclaré la guerre ; Daech est à la source de la crise des réfugiés qui parviennent en Europe. Tant que ce problème Daech ne sera pas réglé, nous vivrons sous la menace de drames majeurs.

Qu’en pensez-vous ? A bientôt,

JFC

Partager cet article

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Faire faceLire cet article

Colère, sidération, effroi. Les mots sont peu de choses lorsqu’il s’agit (...)

Hommage ému à René Girard...Lire cet article

René Girard, académicien, enseignant, critique littéraire, anthropologue, philosophe, est mort ce mercredi 4 novembre à Stanford. Il faisait (...)