Réflexions sur l’attentat de Saint-Quentin-Fallavier...

1°) L’odieux attentat de l’Isère, cette décapitation avec une macabre mise en scène, a horrifié les Français. Mais force est de constater que, quelques jours après, nous sommes déjà en train de passer à autre chose. La Grèce, la canicule, la perspective des vacances ont chassé l’attentat du 26 juin dans les sujets d’actu. Demain, on en parlera presque plus. A l’image de l’attentat manqué de Villejuif, il n’y a pas eu de manifestation nationale de mobilisation comme pour « Charlie ». La séquence « émotion » a été particulièrement courte. C’est la confirmation de la conclusion de la réunion de Génération France que nous avions organisée autour de Marcel Gauchet : nous n’arrivons pas, collectivement, à « penser » ces évènements. Preuve de cette difficulté à appréhender l’évènement, la volonté de certains de faire passer le tueur de l’Isère pour un fou au comportement « irrationnel » (comme s’il était rassurant de penser qu’il était fou plutôt que terroriste djihadiste alors que son mode opératoire laisse peu de doutes). In fine, le risque pour la société est d’emmagasiner une haine froide (notamment contre l’Islam et les musulmans) qui explosera violemment tôt ou tard. Danger.

2°) L’attentat est relégué dans l’inconscient, mais l’effet de la terreur progresse. Charlie ou l’hyper casher étaient des « cibles », « proches » affectivement et en même temps « lointaines » pour la plupart des citoyens qui ne sont ni journalistes ni de confession juive. La tentative d’attaque contre l’église de Villejuif (qui pourtant n’a rien d’emblématique, ce n’est ni Notre Dame de Paris, ni le Sacré Cœur !) a élargi le sentiment de terreur aux millions de catholiques pratiquants. Avec l’attaque d’une entreprise assez anonyme (classée Seveso mais à un niveau très bas) et d’un employeur inconnu du grand public dans une petite ville de l’Isère (Saint Quentin Fallavier compte 6000 habitants), chacun peut désormais se considérer comme une cible. Daech ne semble pas actionner des « agents dormants » en France de manière organisée, mais plutôt « inspirer » des éléments radicalisés qui sont plus ou moins en contact direct avec des djihadistes et des filières en Syrie et en Irak (comme Coulibaly ou Yassin Salhi). En tout état de cause, les Français ont compris qu’ils peuvent être, eux aussi, frappés quels qu’ils soient et où qu’ils vivent. C’est particulièrement anxiogène pour une société déjà inquiète.

3°) Un aspect qui en dit assez long sur l’état d’esprit de notre société : on a beaucoup parlé, à juste raison, du tueur Yassin Salhi, mais à peine du pompier qui l’a maîtrisé à mains nues et qui a été légèrement blessé à cette occasion. Bien sûr, il n’est pas illogique de protéger ce pompier en préservant son anonymat (ne serait-ce que pour lui éviter des représailles). Mais nous aurions pu lui rendre davantage honneur : c’est un héros. Dans cette période difficile, la France a aussi des raisons d’être fière de ses enfants

4°) Il y a un risque à employer une rhétorique très forte, si elle n’est pas suivie d’actes. Manuel Valls a déclaré le 28 juin : « Nous ne pouvons pas perdre cette guerre parce que c’est au fond une guerre de civilisation. C’est notre société, notre civilisation, nos valeurs que nous défendons »… Cette déclaration appelle deux remarques :

  1. Si Manuel Valls entendait par cette citation parler de guerre entre civilisations, il a tort : Daech, c’est la barbarie, pas la civilisation. Et on ne peut assimiler Daech à la brillante civilisation arabo-musulmane qui est notre partenaire et pas notre adversaire. Il ne s’agit pas d’une guerre de civilisations, mais d’une guerre pour la civilisation.
  2. Quand on utilise des mots très forts, comme le fait Manuel Valls, il faut assumer des actes de même portée derrière : changement de doctrine diplomatique, changement durable de politique éducative, pénale etc., pour vraiment réarmer la République… Or cela ne semble pas être le cas. Le plus probable est que le gouvernement n’aille pas plus loin que les décisions, au demeurant bonnes, mais insuffisantes, prises après les attentats de janvier. Le risque de cette rhétorique est de décevoir et de pousser les gens vers les extrêmes…

5°) Pour ma part, je pense qu’il faut durcir notre arsenal contre le terrorisme. Je propose d’agir à trois niveaux : des mesures d’urgence pour mettre hors d’état de nuire les terroristes sur notre sol, des mesures de long terme pour refonder la République française (laïcité, école, autorité de l’Etat, rénovation urbaine…) et enfin une redéfinition de notre politique internationale pour anéantir Daech. Dans ce billet, je veux revenir sur les mesures d’urgence. Je traiterai plus tard des deux autres points.

Notre système anti-terroriste est largement hérité des réponses apportées aux attentats des années 1980. Or, à cette époque, les attentats n’étaient pas le fait de groupes terroristes internationaux, comme Al Qaeda ou Daech, mais d’Etats comme la Syrie ou l’Iran qui instrumentalisent des groupes terroristes pour envoyer des « messages » à la France. Aujourd’hui, nous sommes face à des parcours de radicalisation qui peuvent conduire des jeunes, que rien ne prédestinait à la violence, à devenir des machines à tuer. Il faut tenir compte de cette nouvelle réalité et de la mutation du risque terroriste.

La première chose à faire est de créer un parquet national anti-terroriste. Certes, il existe déjà des magistrats anti-terroristes. Mais la création d’un parquet dédié permettrait d’éviter que le procureur de Paris, comme c’est le cas actuellement, soit compétent pour l’antiterrorisme comme pour tous les autres crimes et délits parisiens. Cela permettrait d’identifier et donc de renforcer plus efficacement les moyens dont disposent les magistrats anti-terroristes. On dissocierait donc le parquet actuel en détachant la fonction anti-terroriste pour la confier à un procureur spécialisé. Ce parquet serait notamment destinataire des renseignements transmis par la direction de l’Administration pénitentiaire et la direction de la Protection de la jeunesse. Car on connaît bien les étapes qui mènent au terrorisme : milieu familial démissionnaire, échec scolaire, dérive vers la petite criminalité, radicalisation en prison sous l’influence de prédicateurs intégristes qui, en appui d’Internet, lavent le cerveau des plus fragiles… Il faut intervenir à chacune de ces étapes où ces jeunes sont fragilisés pour les empêcher de basculer dans l’horreur.

Pour les personnes déjà condamnées pour terrorisme et qui sont en prison en France, je propose deux solutions : des peines plancher pour toutes les personnes auteur d’une infraction à caractère délictuel ou criminel à motif terroriste ; l’application de la rétention de sûreté qui consiste à évaluer la dangerosité du détenu pour savoir s’il est dangereux ou non pour la société de le libérer. Le dispositif avait à la base été imaginé pour les prédateurs sexuels, pourquoi ne pas l’étendre aux terroristes ? Il est délirant de voir certains d’entre eux sortir après des peines de prison relativement courtes, sans suivi adapté. Le cas d’Amedy Coulibaly le montre, lui qui est passé à l’acte quelques mois seulement après sa sortie de prison.

La situation des djihadistes qui essayent de revenir sur notre sol après un « séjour » en Syrie, en Irak ou au Yémen est aujourd’hui un problème majeur. Je propose un placement d’office en centre d’observation et de surveillance, sur décision préfectorale, des individus revenant de zones à risques (cela suppose au préalable d’adopter le fameux fichier PNR, qui trace les déplacements aériens). La dangerosité de ces individus serait évaluée en lien notamment avec les services des pays tiers. A l’issue d’un mois de placement, la personne pourrait former un recours devant le Juge des Libertés et de la Détention.

La question des effectifs et des moyens des forces de sécurité doit être posée car la mobilisation des policiers et des gendarmes depuis le mois de janvier n’est pas tenable dans la durée. Là encore, il faudra, dans les prochaines semaines, que le Gouvernement prenne ses responsabilités afin de créer les effectifs nécessaires à la sécurité des Français et de les doter des équipements et des outils technologiques adaptés. Sur ce sujet, je crois qu’il faut être extrêmement ferme. Nous ne devons pas transiger avec la sécurité des Français, quitte à gager d’autres dépenses publiques au profit de la police et de la gendarmerie.

Voici quelques pistes concrètes qui nous donneraient les moyens de réduire la menace terroriste en France… Elles ont toutes pour point commun de caractériser l’esprit de commandement et de décision au service d’un pays, la France, aujourd’hui directement menacé sur son sol. De la capacité à prendre ces décisions dépendra aussi le sursaut français.

Qu’en pensez-vous ?

A très bientôt !

JFC

Crédits photo : AFP / Kenzo TRIBOUILLARD

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